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Dans le foirail les bœufs et les vaches accouplés au joug, serrés flanc contre flanc, étouffaient, et tourmentés par les mouches, parfois mugissaient sourdement d’impatience ; difficilement les bouviers réprimaient leur humeur en leur appliquant un coup d’aiguillon sur le nez. Dans cette atmosphère surchauffée par le soleil brûlant et par la tiédeur moite émanant des bestiaux, dans une odeur d’étable au vague relent de vanille qui eût affadi l’estomac d’un citadin, les paysans discutaient bruyamment des prix, faisaient des marchés avec force jurements, reniements et tapes sèches qu’échangeaient leurs mains calleuses.

Entre les rangs pressés, Daniel et Noémi passaient lentement et cherchaient à reconnaître leur vache, en regardant d’un côté les têtes cornues, de l’autre les croupes fauves et les cuisses où se plaquait une épaisse couche de bouse desséchée.

Soudain, tandis que le père et la fille se trouvaient au milieu du foirail, quelque chose d’étrange, une espèce de terreur panique frappa, rapide comme l’éclair, l’immense troupeau. Comme si tous avaient été assaillis simultanément par des nuées d’œstres et de taons, les bœufs foncèrent en avant et se ruèrent affolés dans toutes les directions avec des meuglements furieux. Les cornes dressées, les croupes soulevées comme des vagues rousses, les queues roides fouettant l’air, les yeux farouches, un millier de bêtes en furie, dans une poussée irrésistible et tumultueuse, bousculaient et renversaient tout devant leur front armé. Les jurons des paysans accrochés aux cornes, frappant de l’aiguillon, les glapissements épouvantés des femmes et des enfants, les cris de douleur des gens atteints par un coup de corne ou foulés aux pieds,