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Ici Daniel, qui pendant toute cette conversation avait continué son travail, se redressa sur son tas, la main à son trident de fer.

— Maître Durier, dit-il gravement, le fumier fait pousser le grain qui nous nourrit tous, tant que nous sommes : ne le méprisez pas. D’ailleurs, est-ce que vous n’en remuez pas, du fumier ? Vous qui détenez les secrets des familles, ne savez-vous pas sur quelles bases honteuses sont édifiées trop de fortunes ? Ne connaissez-vous pas les moyens illégaux ou ignobles par lesquels une cupidité effrénée amasse de l’or ? friponneries secrètes, conventions illicites, donations clandestines, viles combinaisons matrimoniales, dissimulations de prix, vols domestiques, fidéicommis, captations d’héritages, legs obreptices, stellionats, prêts usuraires, spoliations de pupilles, crimes familiaux ? Tous ces forfaits, toutes ces infamies, toutes ces abjections, que revêtent parfois les formes légales, est-ce que tout cela n’est pas un fumier moral infiniment plus infect et plus répugnant que celui-ci ?

Pendant cette mercuriale, le notaire, abasourdi, contemplait debout sur son tas de fumier, comme sur un piédestal, ce récalcitrant légataire en pantalon d’étoupe et chemise de grosse toile, chaussé de lourds sabots, coiffé d’un mauvais chapeau de paille sous lequel débordaient des flots de cheveux noirs déjà grisonnants, et il se disait : « Cet homme est fou ! »

— Je voulais, répliqua-t-il, causer avec vous de plusieurs choses qui vous intéressent ; mais, puisqu’il en est ainsi, je m’en vais. Tout de même, c’est la première fois que je vois refuser une fortune, petite ou grande !… Je vous souhaite le bonsoir !

Et M. Durier s’en fut, répétant à part de lui : « Cet homme est fou ! »