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douleur toujours visible de Sylvia, qui aviva la sienne, moins apparente. La pauvre femme portait comme un fardeau écrasant la pensée de son cher petit, atrocement arraché, une seconde fois, lui semblait-il, de ses entrailles maternelles. Rien ne pouvait la distraire de ce chagrin profond ; ni les consolations du père, ni le souci de l’autre enfant, de Noémi, qui paraissait travaillée par un remords secret de n’avoir pas mieux gardé son frère. Quelquefois la malheureuse mère exprimait ses souffrances dans un long regard désolé auquel Daniel répondait par une étreinte affectueuse et tendre. D’autres fois, sa douleur longtemps contenue éclatait en une déchirante exclamation.

— Oh ! que je voudrais le savoir mort !

Ou bien, dans de plaintifs murmures, elle trahissait toutes ses angoisses :

— Où est-il ?… Peut-être qu’en ce moment on le bat !… Peut-être en fera-t-on un bandit, un scélérat !… Oh ! mon petit ! mon petit Nathan !

Et elle se jetait sur la poitrine de Daniel et sanglotait…

L’hiver se passa tristement ainsi, dans la maison étroite et sombre, où chacun d’eux supportait à la fois sa propre peine et celle de l’autre. Plus d’une fois, au cours de ces longs mois, le malheureux père sentit que, si le stoïcisme est relativement facile quand il s’agit de soi seul, il est infiniment difficile lorsque le malheur s’abat sur une tête aimée. Pour lui-même il était armé contre la pauvreté, la maladie, le désespoir et la mort. Mais la vue de Sylvia perpétuellement dolente, mais l’idée de cet enfant dressé peut-être au vice et au crime le faisait parfois fléchir.

Néanmoins, après avoir faibli, Daniel se relevait