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À son tour, Daniel s’informa poliment des affaires du comte. Elles allaient aussi mal que sa personne, comme il le dit en plaisantant. Depuis quelque temps, il avait vendu ses chiens et renvoyé le piqueur. Il venait encore, tout récemment, de congédier son domestique ainsi que la cuisinière. Mais, ce qui lui avait été le plus pénible, il avait été obligé de se défaire de « Manon », ne pouvant la soigner. Heureusement, il avait trouvé un ami sûr qui octroyait ses invalides à la vieille jument. Maintenant il ne lui restait plus que Madalit…

— La pauvre fille ! elle s’est toujours dévouée à mon service et à mon plaisir, sans que je lui aie rien donné sinon quelques louis, çà et là, pour sa toilette ! J’en ai du remords et de la honte ! Aussi, pour réparer ma négligence, l’ai-je faite par mon testament ma légataire universelle en reconnaissance de « ses bons et agréables services », selon l’ancienne formule. Je n’ai plus rien que la réserve ; elle vaut de dix-huit à vingt mille francs, et peut-être plus avec le château : tout délabré qu’il est, il fera bien l’affaire de quelque bourgeois gentilhomme, un futur « Monsieur de Saint-Michel » !… Avec cela, Madalit aura de quoi vivre… Seulement, si je durais quelques années encore, il n’y aurait plus rien et je mourrais ingrat et insolvable… ce que je ne veux pas… Qu’en dites-vous, docteur ? Pensez-vous que j’en aie pour longtemps ! Parlez-moi franchement, comme à un homme qui a vu la mort en face plus d’une fois !

— En conscience, mon cher comte, je ne puis vous rien dire de certain. Vous pouvez aller ainsi encore longtemps… Mais demain, dans un mois, dans un an, votre goutte peut se répercuter sur le cœur, le cerveau, les poumons… Et alors, c’est fini.