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ce qui lui était arrivé depuis qu’il était revenu au pays natal bouillonnant de généreux projets, plein de nobles illusions. Tout lui avait mal succédé. Peu à peu il avait vu décroître l’influence que ceux du Désert avaient eue dans la Double, et le bien familial s’en aller aux mains de ses créanciers. Treize ans après son retour, il était discrédité moralement, dépossédé, réduit à un misérable lambeau de l’héritage des ancêtres. Il s’expliquait ce résultat par la charge des dettes paternelles, et par sa négligence, à lui, de ses intérêts. Ainsi appelait-il modestement la bonté qui l’avait porté à se dévouer sans réserve au soulagement des malheureux, la piété héréditaire qui émouvait tout son être à la vue des souffrances d’autrui.

En ce qui le touchait particulièrement, quoiqu’il eût été payé d’ingratitude, il s’estimait heureux d’avoir fait le bien, pour le bien seul, sans la pensée d’aucun salaire. Il était résigné aux événements accomplis, portait le présent avec sérénité, envisageait avec fermeté dans l’avenir les choses fortuites. Adapté strictement, de corps et d’esprit, à sa nouvelle situation, il avait maintenant le travail agricole facile et familier. Nulle amertume ne lui venait à la comparaison de sa vie antérieure et de sa vie actuelle. Il avait la vertu des forts et ne considérait point comme un malheur d’être pauvre, ni pour ses enfants d’être élevés dans la pauvreté. « Après tout, se disait-il virilement, nous rentrons dans le peuple, d’où nous sommes sortis : qu’importe que, des descendants de l’arquebusier huguenot Charbonnière, pendu à Mussidan par les catholiques, les uns soient établis dans un château et les autres dans une cabane ?… »

Chez lui, Daniel trouva deux hommes qui l’attendaient, assis sur le banc, contre la porte. L’un était