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Le vicomte, lui, s’exaspérait de son échec et de ses ambitions décidément ruinées. Les colères de son orgueil blessé avivaient sa méchanceté native, dont les rogues manifestations contre les pauvres hères des alentours, en toute occurrence, étaient comme les exutoires. Mais cela ne suffisait pas. Celui sur lequel il aurait voulu venger ses déboires et satisfaire ses rancunes, c’était le docteur Charbonnière, qui lui échappait. Ne pouvant atteindre en sa personne cet homme abhorré qui lui imposait malgré tout, il s’efforçait de blesser par quelque voie indirecte au moins ses sentiments, de l’offenser à travers les choses qui pouvait lui tenir au cœur.

Quelques mois après les élections, cheminant près du Désert dont les ruines noircies avaient une figure lamentable, Daniel vit que les murs du petit cimetière particulier à sa famille avaient été démolis. Les pierres éparses et les gravats s’amoncelaient sur les fosses où dormaient les os de ses anciens et les restes calcinés de la pauvre Sicarie. Le linteau de la porte où se lisait l’inscription pieuse avait été brisé à coups de grelet, et des herbes sauvages sortaient vivaces entre les dalles verdies.

Le docteur fut révolté d’abord par cette espèce de profanation ; mais, à la réflexion, il s’apaisa. La profanation n’existait que dans l’intention de M. de Bretout : il n’était pas en son pouvoir de molester ceux qui n’étaient plus. Le manteau vert jeté par la nature sur ces sépultures disparues, et qui allait s’épaissir avec les années, convenait bien à l’éternel oubli qui tôt ou tard est le destin des morts… Et Daniel eut un sourire de mépris de cette basse méchanceté du vicomte…

En rentrant aux Essarts, le docteur songeait à tout