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tuer, plus lentement si vous voulez, mais les tuer tout de même… Et puis, on a beau dire, ceux qui ont vu guillotiner, ça les retient. Je vous réponds que d’ici bien du temps il n’y aura point d’assassinat dans la Double !

— Je le désire, mais ne l’espère pas.

Le lendemain, Gavailles, qui avait perdu sa journée pour aller voir l’exécution, revint aider le docteur à ensemencer. Lui n’avait pris garde qu’au spectacle, à l’affaissement de Badil, à sa terreur de la mort, au sang jaillissant sous le couperet et entraîné ensuite par l’eau, arrosant les mauves, les orties et les carottes sauvages, où, dans l’après-midi, les chiens venaient flairer… De réflexions morales, il n’en faisait point : il ne ressentait qu’une satisfaction égoïste de n’avoir pas été au lieu et place du condamné.

En l’écoutant, Daniel se disait que peut-être cet horrible exemple pouvait arrêter des individus hésitants et faibles comme Gavailles sur la pente du crime…


Les semailles faites, on fut plus tranquille aux Essarts. Le docteur envisageait sans trop d’appréhension la venue de l’hiver. Il n’y avait guère d’argent à la maison, mais assez de provisions pour aller jusqu’à la prochaine récolte. Ainsi, se confiant en l’avenir, la famille vivait en paix dans une solitude peu troublée. Le plus prochain village, séparé des Essarts par des bois épais, était à un gros quart de lieue et se composait de trois chétives maisons. Parfois un braconnier traversait la lande, au loin, ou bien quelque bûcheron se rendait à sa coupe. Plus rarement, c’était un muletier sur une sente, suivant une file d’ânes et de mulets qui portait du charbon à la forge de Sourzac.