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leur vie, et Daniel acceptait les choses avec sa philosophie ordinaire. Sylvia, seule de la maison, avait des regrets, non pour elle, la vaillante femme, mais pour « le père » : le voir travailler tout le jour et vivre comme un paysan, voilà qui la poignait.

Deux autres commensaux s’accommodaient assez mal du changement. « César », un fils de l’ancien, obligé de se contenter d’une pâtée à peu près semblable à la « baquade » du cochon, n’avait plus le poil aussi luisant. Les os de poulet qu’au Désert il faisait craquer dans sa gueule puissante, il devait les regretter. De même, la vieille Jasse, réduite à la mauvaise herbe du pré ou à la palène des bois, dépérissait un peu. La bonne ration de carottes cuites avec de l’avoine, que tous les soirs elle trouvait à la porte de la cuisine, en revenant du pâturage au Désert, lui faisait défaut. Quelquefois Daniel, observant le flanc creux de la jument, en avait pitié et lui portait à l’écurie quelques jointées de farine de maïs :

— Tiens, pauvre bête ! je ne puis faire mieux.

Quant à la bourrique, philosophe comme le maître, elle s’arrangeait de tout…

La nuit était venue, les bêtes étaient à l’étable, et Daniel songeait encore, assis là, sur le banc, lorsqu’une main se posa doucement à son épaule.

— Ne veux-tu pas souper, père ?

— Si, ma petite…

Le repas était frugal, ce soir-là, comme tous les jours, d’ailleurs. Même, ce qui était une privation, point de soupe comme à l’accoutumée : un miquet de millet en tenait lieu. Après cette bouillie, Sylvia posa sur la table un millasson de blé d’Espagne, qui, découpé par elle en tranches d’un beau jaune d’or, accompagna un plat de caillé.