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informe et graisseux d’où sortaient des entrailles grillées, ces membres carbonisés dont les extrémités avaient disparu, et surtout cette lamentable tête réduite à un moignon fuligineux.

En se remémorant ces tristes choses, Daniel songeait avec un frisson à ce qui serait arrivé si les enfants et Sylvia eussent été au Désert lors de l’irruption des paysans.

Le travail pourtant amortissait un peu son noir chagrin. Il s’était donné courageusement à la besogne et avait organisé leur existence. Son premier ouvrage avait été de désherber un terrain derrière la maison et d’y tracer un jardinet. Ensuite il avait enclos l’habitation et la grangette dans une cour fermée de gros pieux. Puis il avait entrepris le défrichement de la lande. En attendant que le sol successivement mis en culture fournît des récoltes, la famille vivait avec les provisions apportées du Désert avant l’incendie : — seigle, blé d’Espagne, millet, haricots et quelques sacs de pommes de terre qui dataient de l’année précédente. Le lait de la vache et celui d’une bonne chèvre étaient aussi une précieuse ressource pour tous, principalement pour les petits.

De pain, on n’en faisait point aux Essarts : il n’y avait pas de four. Mais parfois la ménagère, ayant vendu au marché de Mussidan quelques douzaines d’œufs ou une paire de poulets, prenait chez le fournier une tourte de pain bis pour la soupe. Le reste du temps, tous vivaient de miquet, de pommes de terre, et mangeaient des « millassons » de maïs en guise de pain.

En somme, l’adaptation de la famille à sa condition nouvelle se faisait assez bien. Les enfants étaient trop jeunes pour sentir le changement survenu dans