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renverse et les coups redoublèrent, et la foule, en rut de crime, hommes et femmes sautèrent sur elle, la piétinèrent, lui écrasèrent la face de leurs gros sabots ferrés. De cette masse grouillante qui recouvrait la malheureuse, chacun se pressant, se heurtant aux voisins pour la frapper, s’élevaient des clameurs de cannibales, des rugissements de bêtes féroces, parmi lesquels jaillit, en une seconde d’accalmie, un glapissement de femme :

— Il faut la faire brûler !

Cette idée atroce, née de la manie dévote qui porte parfois les foules en délire à anticiper sur le supplice de l’enfer, fut tumultueusement acclamée par tous, et aussitôt des fagots pris sous le hangar furent amoncelés au milieu de la cour. Puis, tirant ce pauvre corps, lequel avait encore des soubresauts de douleur, les uns par les cheveux, les autres par les bras, quatre ou cinq hommes le traînèrent jusqu’au bûcher improvisé.

Pendant ce temps-là l’infortunée, la bouche pleine de ses dents cassées, répétait inintelligiblement :

— Lâches ! lâches !…

Mais bientôt, soulevée par vingt poignes, elle fut lancée sur les fagots où le feu fut bouté avec un brandon de paille.

Les cheveux grésillèrent d’abord, puis la flamme mordit la chair, et, tandis qu’hommes et femmes, dans l’ivresse du meurtre, dansaient autour du brasier en hurlant de joie, la martyre parmi le feu et la fumée, s’agitait convulsivement et râlait :

— Tuez moi, lâches ! tuez moi !

Cela dura un moment ; puis les mouvements cessèrent, le râle se tut, et une horrible odeur de chair grillée se répandit dans la cour.