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nage, qui parlait bien le dialecte du pays et avait une voix de taureau mugissant. Avec beaucoup de sagacité, l’abbé de Bretout avait jugé que, pour le dernier jour, il était nécessaire de frapper l’esprit des paysans doubleaux, non seulement par une imposante cérémonie, mais encore par un sermon qu’ils pussent entendre et comprendre. Et c’est pourquoi il avait fait appel à ce curé, sorte de Bridaine campagnard, célèbre par sa faconde patoise et par sa voix.

Ce fut une agréable surprise pour tous les paysans que d’ouïr le prédicateur parler dans leur idiome local. Les missionnaires, avec leurs grands gestes et leurs discours pathétiques dont ils ne saisissaient pas le sens, les remuaient, à coup sûr, ils ne les convainquaient pas. Mais, quand le curé de Saint-Christophe commença de discourir, en patois, sur la Passion de Jésus-Christ, en montrant avec une baguette chacun des attributs attachés à l’énorme croix du supplice qu’il dépeignait, il y eut des murmures de satisfaction dans la multitude. Toutes ces têtes falotes, souffreteuses, de pauvres gens crédules et naïfs se tournèrent vers lui et le contemplèrent avidement, bouche bée. C’était un grand gaillard, une sorte de géant, comme le patron de la paroisse qu’il desservait. La force ou les seules apparences de la force imposent toujours aux paysans : aussi ce colosse à la tête presque prodigieuse, à la voix bramante, ne manquait pas de les émouvoir ; sur toutes ces figures maigres, terreuses, dans tous ces yeux mornes d’habitude, il semblait qu’une pensée revécût à l’évocation brutalement faite des souffrances du Christ.

Après avoir minutieusement décrit ces souffrances, l’orateur maudit et stigmatisa les bourreaux du Sauveur et montra comment la malédiction divine