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sur les flancs. Même, Mornac, le garde de Légé, portait par-dessus sa blouse neuve un briquet suspendu à un large baudrier de buffle. Les métayers et les domestiques des messieurs du pays étaient là aussi, et quelques-unes de leurs créatures affidées : Pirot, Guérinet, — le bouvier de M. Carol et son rival heureux auprès des chambrières de la Berterie, — Queyrol, — ancien lutteur de profession, grand chenapan au service de M. Trécand, sorte de factotum sans emploi déterminé. — Badil, Moural, et d’autres encore, de ces mauvais garnements qui rôdent autour des bonnes maisons, prêts à tout pour un os à ronger.

Tout ce monde allait difficilement par les chemins défoncés, bosselés, bordés de ronces où s’accrochaient les cotillons des femmes. De cette longue colonne serrée, de tous ces gens qui se talonnaient, s’élevait la rumeur confuse des prières et des conversations particulières, au-dessus de laquelle fusaient les voix des prêtres qui chantaient d’accord, derrière la croix. Parfois le cri d’un enfant, sur les orteils duquel un sabot avait lourdement pesé, jaillissait, douloureux ; puis grinçaient les récriminations de la mère qui le menait par la main. D’autres fois, c’était la voix d’un camarade complaisant, qui jetait dans l’oreille d’un sourd une réponse ouïe par tous :

— Dieu merci, ça finit aujourd’hui !

Après que la procession eut gravi la colline irrégulière du Signal, la foule se rassembla autour d’un massif de maçonnerie destiné à recevoir la croix. Celle-ci une fois solidement plantée, bien scellée, dûment aspergée d’eau bénite avec les prières obligatoires, un prêtre monta sur cette sorte de piédestal comme en chaire. Ce prêtre était un curé du voisi-