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— Oh, père !…

Et ils rentrèrent, d’un pas tranquille.

À la porte de la cuisine, la Jasse mangeait, dans un seau, de l’avoine et des carottes cuites ; elle mangeait avec lenteur, comme les personnes âgées qui n’ont plus de dents.

— Pauvre vieille ! fit le docteur en la caressant.

Puis il alla mettre des vêtements de travail, attela une paire de vaches et s’en fut chercher de la luzerne avec la Grande…

Le soir, au moment de souper, Justrac revint avec les brebis. Un superbe bélier marchait en tête, conduisant le troupeau entier au tintement de sa clarine. César trottinait sur le flanc et Justrac venait derrière. Le berger n’était pas seul. Un individu d’assez vilaine mine l’accompagnait, que le docteur reconnut aussitôt pour un petit maquignon de méchantes bourriques et de chevaux fourbus appelé par sobriquet « Cardil », ou chardonneret, parce que son chef était serré, à la mode espagnole, dans un foulard rouge qui se voyait sous son chapeau.

En Périgord, un étranger n’entre pas dans une maison sans être convié à boire un verre de vin, ou à manger la soupe, selon l’heure. Sur l’invitation du maître, Cardil s’assit donc près du berger. Après avoir fait un bon « chabrol », le maquignon exposa le motif de sa visite : il achèterait la vieille jument si le monsieur la lui voulait vendre.

Sur l’observation de Daniel que sa Jasse ne pouvait plus être utile à personne en quoi que ce fût, Cardil riposta que des bêtes usées à fond, il y avait toujours moyen d’en tirer parti.

— Oui, je sais, répliqua le docteur, on les vend à Bordeaux pour les ménageries, au temps des foires,