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La nécessité de s’adonner davantage au travail agricole ne déplaisait pas à Daniel. Son âme rustique revenait sans effort à la vie de ces ancêtres paysans. En raison de sa culture intellectuelle, il remarquait au cours de son labeur beaucoup de choses qui mêlaient une certaine poésie à ses vulgaires besognes.

Un soir, il remontait du fond de la combe où il avait mené le bétail à l’abreuvoir. Devant, marchait une belle génisse limousine qui n’avait pas encore subi le joug. Les autres vaches suivaient ; puis, c’étaient la vieille Jasse et son maître, la main accrochée à la crinière de la bonne bête. Derrière venait humblement une ânesse grise, fille de celle qu’avaient mangée les loups.

La nuit tombait, paisible et sereine, sur la Double aux paysages mélancoliques. La lune débordait lentement de l’horizon comme un gigantesque louis d’or, avec cette vague effigie où les paysans reconnaissent Caïn soutenant une fourchée d’épines. Lorsque, parvenue à la cime du coteau, la génisse qui était en tête aperçut l’astre brillant, elle s’arrêta surprise, la queue tendue, le mufle allongé, campée sur ses jambes, en poussant de sourds mugissements.

Et lors le docteur crut voir une de ces vaches autrefois consacrées à Diane Persienne, adorant la déesse.

Comme il était là contemplant l’attitude quasi religieuse de la génisse, le domestique de M. Cherrier sortit en courant de la basse-cour, et lui dit précipitamment :

— S’il vous plaît, venez vite ! notre monsieur a eu un coup de sang !

— Comment êtes-vous venu ? lui demanda-t-il.