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vous méprisez si fort sont pourtant susceptibles de se civiliser…

— Que ne le font-ils !

— C’est qu’ils n’ont pas le temps de s’instruire et de penser…

— Qu’ils le prennent !

— Il faudrait pour cela que la propriété territoriale fût équitablement répartie, de manière que les uns n’aient pas tout, et les autres rien. Alors les riches bourgeois ne seraient pas toujours oisifs, et les paysans toujours écrasés de travail : les uns et les autres auraient des heures de relâche.

— Vous êtes un disciple de Babeuf !… et de ce coquin de Brissot qui a dit : « La Propriété, c’est le vol !… »

Là-dessus, la discussion se haussa d’un ton, faisant s’assembler autour des deux interlocuteurs les badauds qui trôlaient sur le terrain vague où se tenait la fête. Puis, comme il arrive en ces conjonctures, bientôt une foule se serra autour du docteur qui parlait, fréquemment coupé par les interjections de M. Carol.

— Que vous le vouliez ou non, disait-il, ce sont des lois humaines, ou plutôt inhumaines, qui ont permis l’accaparement du sol entre les mains d’un petit nombre. Ces lois consacrent le droit du plus fort. C’est le droit de Clovis sur les Gaules, de Pépin sur l’Aquitaine, d’Adalbert sur le Périgord…

— Arrivez au déluge !

— Nul, voyez-vous, ne devrait posséder plus de terre qu’il n’en peut mettre en rapport directement, et tout homme a droit à la portion qui lui est nécessaire pour vivre, lui et les siens. C’est là des lois naturelles, imprescriptibles, en dépit des codes qui légalisent le droit du lion…