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Lui, prit sa main, une délicieuse main de fillette, émaciée, où transparaissait un léger réseau de veines bleuâtres, et, pendant qu’il comptait les pulsations presque imperceptibles, la servante étant sortie, doña Maria, poussée par le besoin de se confier à un être qu’elle sentait un être sympathique, tout à coup, sans préambule, conta brièvement sa vie.

Mariée à quinze ans à don Esteban qui en avait quarante, elle avait obéi à son père, la mort dans l’âme, et s’était efforcée d’étouffer un amour antérieur pour rester fidèle à son mari. Le hasard lui ayant fait rencontrer le cavalier qu’elle aimait, elle avait eu la faiblesse de céder à son amour. Après avoir intercepté une lettre, don Esteban avait résolu de la tuer et, pour le faire impunément, l’avait amenée en France, dans cette maison mortelle. Tous les jours, il se tenait là, près de son fauteuil, épiant les progrès de la maladie qui la consumait, froid et impassible. Lorsqu’elle se plaignait, il tirait la lettre de sa poche et la lui montrait. Quelquefois, elle le suppliait de la tuer d’un coup de navaja : ce serait plus humain… Mais il lui répondait avec un sourire haineux :

— Vous n’avez pas suffisamment souffert !

Enfin elle s’était réduite à lui demander, pour toute grâce, de lui amener un prêtre, requête à laquelle il avait riposté avec un rire cruel :

— Ce n’est point assez pour ma vengeance que vous mouriez lentement : il faut encore que vous mouriez en état de péché mortel et qu’ainsi vous soyez damnée pendant toute l’éternité !

La pauvre enfant avait fait le sacrifice de sa vie ; mais la damnation éternelle l’épouvantait, comme elle le dit naïvement à Daniel. Cette pensée des supplices sans fin qui l’attendaient la jetait dans un affreux