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Le visage rasé de l’Espagnol ne traduisait aucune émotion. Ses paupières abaissées ne permettaient d’apercevoir qu’un petit coin de la sclérotique teintée de jaune, et ses lèvres minces se pinçaient comme pour mieux retenir un secret.

Daniel eut alors le sentiment qu’il était en présence d’un drame obscur, d’un de ces crimes domestiques que la loi n’atteint pas. Il tira son portefeuille, écrivit une ordonnance et la remit à don Esteban avec les explications nécessaires.

En s’en retournant, il songeait à cette jeune femme, presque une enfant, victime, selon toute apparence, d’une haine maritale. Elle était encore très belle, malgré les ravages de la maladie. Peut-être cette beauté avait-elle provoqué la jalousie de son époux ?… Le docteur déplorait son inaptitude à la secourir efficacement ; mais que pouvait-il ? « La femme doit suivre son mari », et, puisqu’il avait plu à don Esteban de venir demeurer dans un pays malsain, dans un lieu meurtrier, doña Maria devait le suivre : légalement, il n’y avait rien à objecter !…

À défaut d’assistance plus effective, Daniel revint presque chaque jour voir la malade, qui s’affaiblissait rapidement. La quinine, elle refusait de la prendre.

— À quoi bon ? disait-elle mélancoliquement.

Trois semaines après sa première visite, un dimanche matin, le docteur, introduit par une vieille servante espagnole qui tremblait la fièvre, trouva doña Maria dans un grand lit à l’ange, bien faible. Quant à don Esteban, qui édifiait la paroisse par des démonstrations de piété fervente, familières aux dévots de son pays, il était à la messe.

— C’est pour aujourd’hui ! dit la jeune femme à Daniel.