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s’informait des malades, parlait aux gens rencontrés à travers pays, bûcherons dans les ventes, pastours sur les landes, charbonniers à leurs fourneaux. Quoique la plupart de ceux auxquels il s’adressait fissent de prudents efforts pour cacher leurs sentiments, Daniel voyait bien qu’ils avaient pour lui une espèce d’antipathie. L’avisant de loin qui venait, parfois une femme quillée devant sa porte, la quenouille au flanc, rentrait dans sa bicoque et repoussait l’huis. Ce n’était pas nouvellement que le docteur observait ces dispositions peu bienveillantes des paysans, mais il lui semblait que depuis son emprisonnement elles s’étaient aggravées en quelque sorte et généralisées. Il attribuait ce rengrégement d’hostilité aux menées souterraines de ses ennemis, tout en s’avouant d’ailleurs que, dans l’esprit borné de ces gens grossiers, c’était un terrible préjugé contre lui que de l’avoir su naguère en prison. Le fait qui avait motivé la condamnation, les circonstances où il s’était produit, rien de tout cela n’existait pour une multitude ignorante, courbée depuis des siècles sous un respect superstitieux de la justice : « Il a été en prison ! » Cela disait tout pour des gens inintelligents qui gardaient et se transmettaient de père en fils le souvenir d’une peine infamante infligée autrefois à un individu, peine dont ils faisaient rejaillir le déshonneur sur sa famille jusqu’à la troisième ou quatrième génération.

La répulsion instinctive et l’aversion inspirée allaient chez quelques-uns jusqu’à dissimuler la présence d’un malade, de quelque fiévreux, dans la maison devant laquelle s’arrêtait le docteur… Parpaillot ! repris de justice ! c’en était trop pour ces âmes obscures, perpétuellement excitées à la haine par le concert des notables.