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se manifestaient par des actes d’hostilité sournois et anonymes. Le principal moyen de vengeance qui tente les faibles, l’incendie des bois, avait été employé contre M. de Légé ; mais, après deux terribles exemples d’incendiaires envoyés au bagne de Rochefort, ces alertes avaient provisoirement cessé. Pourtant il y avait toujours dans la Double des malheureux que le châtelain de Légé avait expulsés de leur chétive demeure, mis au bissac, qui l’abhorraient et lui voulaient mal de mort, chose dangereuse dans un pays sauvage, où chacun, si misérable qu’il fût, avait son fusil dans le coin de l’âtre…

Par une soirée pluvieuse de septembre, le vicomte de Bretout et madame attendaient pour souper M. de Légé, qui était allé à Mussidan traiter quelque affaire. Huit heures sonnèrent à la pendule de la salle à manger qu’il n’était pas encore revenu ; ce que voyant, M. de Bretout, après s’être promené de long en large pour tromper l’impatience de son estomac, parla de faire servir. Mais sa femme s’y opposa nettement :

— Il faut attendre !

Puis elle jeta une mante sur ses épaules, chaussa dans la cuisine des sabots par-dessus ses pantoufles et sortit dans la cour, suivie de mauvaise grâce par son mari. La nuit était plus que sombre, sans lune, sans étoiles, épaissie encore par la pluie qui tombait fine et serrée. Au bord de la terrasse, ils écoutèrent : nul bruit ne montait jusqu’à eux que le léger bruissement de l’eau sur les feuilles des taillis voisins. Pas un pas de cheval sur les chemins boueux, pas un meuglement de vache attardée au pacage, pas un aboi de chien épeuré, rien. Les bois solitaires se confondaient avec le ciel dans un noir de poix qui enveloppait la Double inondée. Au bout de quelques minutes,