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Enfin, par une belle matinée de la fin de mai, les deux adversaires se rencontrèrent sur la lande du Drac. C’était un plateau environné de taillis de chênes, d’où s’enlevaient des brouées légères, vite fondues au soleil levant. Une faible rosée nocturne s’évaporait sur les bruyères et les brandes, d’où s’envolaient, portés par une petite brise de l’Est, des fils de la Vierge argentés. Des geais criards se poursuivaient dans les arbres, et, au loin, faiblement, s’oyait la corne d’un chasseur huchant ses chiens. Contre l’ordinaire dans la Double, le ciel était sans nuages, et dans l’air frais flottaient de délicieux parfums sylvestres. C’était un de ces jours où l’on se sent plus allègre, où la joie de vivre fait briller les yeux et gonfle le cœur.

Pendant que les témoins mesuraient la distance et prenaient les dernières dispositions, les deux adversaires attendaient. Daniel avait cassé une ramille de brande et examinait curieusement une mignonne petite araignée verte qui montait et descendait, tout effarouchée. Le vicomte, lui, semblait soucieux. Non pas qu’il eût peur, car il était brave, de cette bravoure gasconne un peu avisée et avantageuse, mais une désagréable pensée le travaillait. Il lui semblait avoir lu dans les yeux de Minna une certaine indifférence égoïste sur le résultat de la rencontre ; et il se disait : « Elle aurait vite porté mon deuil !… »

Les témoins achevaient de charger les pistolets, lorsque tout à coup Sylvia sortit d’un taillis proche et s’avança vers le petit groupe.

— C’est ridicule ! s’écria M. de Bretout ; cette fille vient nous empêcher de nous battre !

— Tu te trompes, monsieur ! riposta Sylvia, les yeux brillants ; je viens pour aider à t’emporter !