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régime dotal et sans enfant avait de précaire et d’incertain. Il entrevoyait dans le lointain une éventualité possible que la santé de sa femme pouvait même rendre, un jour ou l’autre, probable. Que madame de Bretout vînt à mourir sans postérité, il retombait comme devant gentilhomme pauvre et besogneux. Après toutes les peines que son oncle et lui s’étaient données pour conquérir cette héritière, c’était une triste perspective, qui, fréquemment définie par son imagination, lui donnait un air soucieux.

Minna remarquait les inquiétudes de son mari : elle en devinait la cause et en riait sous cape. Quelquefois, lorsque M. de Bretout s’efforçait de l’émouvoir par des protestations de tendresse chaleureuse, elle prenait plaisir, en feignant de le plaindre, à se moquer de lui par des propos à double sens :

— Pauvre ami ! que deviendriez-vous si je mourais !

Lui sentait bien l’ironie méchante de cette équivoque et s’en irritait, sans le témoigner toutefois, tant il comprenait la nécessité de ménager sa femme.

Dans l’état d’esprit inquiet et fâché où il se trouvait, le vicomte était enclin à rechercher à quelle suggestion obéissait sa chère épouse. Il la jugeait incapable d’avoir conçu toute seule, elle si dévote, le projet de se soustraire au devoir conjugal, et il en déduisait qu’un tiers lui avait signalé le danger qu’une nouvelle maternité lui ferait courir. Mais qui pouvait l’avoir effrayée au point de lui faire prendre un aussi extrême parti ? Les soupçons de ce mari encoléré ne s’arrêtèrent pas sur le docteur Gauriac, qui, après les couches de Minna, était pourtant venu souvent au château, mais allèrent droit à Daniel, qui, eu égard aux circonstances, ne pouvait cependant guère être suspecté. Cette inculpation toute gratuite flattait la