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— Enfin vous accouchez ! s’écria le notaire. Eh bien ! ma pauvre Cadette, c’est vrai qu’il y a d’étranges pays où les hommes achètent les filles à leurs parents ; mais, par chez nous, ça n’est pas encore trop la mode : il faudra donc attendre…


Pendant les atermoiements de la Cadette, monsieur et madame de Bretout, après avoir passé l’hiver à Pau, étaient revenus à Légé avec les premières hirondelles. Minna n’était plus positivement malade, mais sa belle santé de jeune fille n’était plus qu’un souvenir. Sa fraîcheur avait disparu, ses chairs étaient devenues flasques, et, sur son visage fané, une expression de fatigue ennuyée avait succédé à la grâce juvénile et mutine qui jadis lui seyait si bien.

Le vicomte de Bretout, lui, avait au contraire beaucoup gagné. Il était moins efflanqué, moins osseux ; il s’était remplumé, physiquement comme financièrement. Toute sa personne avait cet aspect satisfaisant de l’homme sain qui fait trois bons repas par jour et boit de vieux vins. Cependant on n’admirait pas sur sa figure haute en couleur cet air heureux de l’homme qui a réalisé un rêve matrimonial doré. C’est que son union avec mademoiselle de Légé comportait quelques épines secrètes. Depuis son laborieux accouchement, Minna s’était bien promis de ne plus s’exposer à des souffrances et à un péril dont l’idée seule la faisait encore frissonner. Comme elle n’aimait pas son mari et qu’elle était naturellement froide, elle s’était facilement tenu parole. Le vicomte était donc veuf dans le mariage, et cette condition bizarre et désagréable le gênait fort. Outre qu’il était d’un naturel assez exigeant, il se rendait très bien compte de tout ce que sa position d’époux d’une femme mariée sous le