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la moralité de cette mère, et, par suite, sur les conséquences de son ordre.

Introduit près de ce magistrat, — un petit homme à lunettes, froid comme le carreau ciré de son cabinet, — le docteur, après diverses questions sur lui-même, dut écouter une fastidieuse harangue, farcie de maximes du bien-vivre officiel et bourgeois, qui se termina par une sévère condamnation de la situation illégale et immorale où il vivait avec une concubine mineure, — circonstance aggravante.

À cette mercuriale Daniel répondit fermement : « Telle quelle, la situation de cette fille auprès de lui était plus morale qu’auprès d’une mère concubinant avec deux vils coquins ; il vivait honnêtement selon la nature avec celle qu’il regardait comme sa femme ; les obligations légales imposées à l’homme marié, il les remplissait de lui-même sans y être contraint ; et donc, quoique dans une situation irrégulière, il n’était pas indigne de quelque intérêt… »

— Et le scandale, monsieur ! fit le procureur, qui partit de là pour adresser à Daniel un second discours où des considérations d’ordre purement social se mêlaient à des préoccupations religieuses.

De tout cela le docteur inféra bientôt qu’il n’obtiendrait pas le retrait de l’ordre donné.

— Monsieur, dit-il, je suis résolu à épouser la personne dont il s’agit. Je vous prie seulement de suspendre l’exécution de la mesure par vous décidée jusqu’à ce que des arrangements soient pris avec la mère.

— Quoi ! vous feriez votre épouse de cette fille !

— Elle en est digne, monsieur.

Le magistrat réfléchit, un moment, puis finit par prononcer avec une espèce d’ironie déçue :