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condition naturelle d’un hérétique, d’un parpaillot.

La gent officielle, le juge de paix, le greffier, les divers employés du fisc et presque tous les maires partageaient ces préjugés : ils se montraient malveillants, chacun dans la mesure de son pouvoir et la limite de ses fonctions. Cette attitude avec laquelle s’accordaient çà et là certains actes, les manœuvres visibles et souterraines des autorités religieuses, les diatribes des notables influents, tout cela peu à peu avait créé contre Daniel, chez les paysans, un état général d’hostilité latente, hostilité contenue encore par la prudence traditionnelle des faibles.

IL était possible, à la rigueur, que la vilenie de Pirot et de Gondet fût le résultat spontané des haines aveugles, semées contre le docteur dans des âmes obscures ; mais plus probablement elle était née de la conjonction d’une pensée ennemie avec la pauvreté qui, selon un mot cruel, met le crime au rabais.

À ce sujet, Daniel était perplexe. Toutefois, dans son optimisme indulgent, il s’efforçait de croire à un excès de zèle et à la malfaisance de deux coquins isolés.


Peu après cette affaire, Fréjou vint demander au docteur une augmentation de l’indemnité que celui-ci lui payait pour le desséchement de son étang : « Le poisson avait beaucoup augmenté de prix et le fourrage ne valait guère… À trente francs, il y perdait… véritablement. »

— Ça tombe bien ! répondit Daniel ; je voulais justement vous prévenir que dorénavant je ne vous donnerai plus rien. Ce que j’en ai fait, ç’a été de ma volonté ; mais, puisque vous êtes fatigué de ne plus avoir la fièvre, vous et les vôtres, eh bien ! remplissez votre étang, mon ami !