Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oh ! il n’est pas besoin de vous excuser, vous n’êtes pas le seul !

— À propos de serpents, reprit Claret, je voulais aller au Désert pour vous parler de quelque chose ; mais, puisque vous êtes là, je vais vous le dire… Voici deux fois que je vois ce méchant Pirot, le maître valet de Légé, parler en cachette à votre berger, dans les landes de Bellesise ; la dernière fois, c’était jeudi. Connaissant la malvoulance que vous portent ceux du château, j’ai pensé que ça n’était pour rien de bon. C’est pourquoi j’ai voulu vous le dire : un homme averti en vaut deux…

En s’en allant après avoir remercié le vieux chasseur de vipères, le docteur se demandait ce que signifiaient ces colloques secrets de Pirot avec Trigant. Afin de s’en éclaircir, il se détourna de son chemin et alla passer à l’endroit où il savait que le berger touchait les brebis.

Le troupeau paissait sur une lande rase, vers le Signal. Il était composé de bêtes qui avaient remplacé les chétifs moutons du pays, trouvés par Daniel à son retour au Désert. Le bélier, de l’espèce des mérinos d’Espagne, provenait du haras créé par le citoyen Jumilhac, en l’an XI : c’était un magnifique animal. Il broutait, un peu à l’écart, sur une petite butte, et leva la tête en oyant approcher quelqu’un. Planté solidement sur ses quatre pieds, prêt à choquer pour défendre ses brebis, avec son chanfrein busqué, ses cornes enroulées superbement, il se détachait sur les rougeurs de l’horizon comme un haut-relief antique, dans l’attitude noble et fière des mâles que l’homme n’a pas déshonorés par la mutilation.

Trigant s’étant avancé, après l’échange de quelques