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Le gendre de M. de Légé était assez ambitieux, mais encore plus nonchalant. Et puis, fier de sa naissance, il jugeait au-dessous de lui de visiter des bourgeois, des roturiers. Aussi, l’hiver lui fournissant un excellent prétexte, attendit-il le printemps pour se mettre en campagne.

Au cours des visites faites par le vicomte de Bretout, seul ou avec madame, selon la condition des personnes, on mettait habituellement sur le tapis les projets du docteur Charbonnière. C’était là un thème avidement saisi par le visiteur et les visités, qui tous cachaient des arrière-pensées personnelles sous l’honnête préoccupation des intérêts régionaux. Ces projets étaient généralement critiqués, voire malmenés. M. des Garrigues, le juge de paix, les qualifia de « dangereuses chimères » ; M. Servenières (de Fontblanche) les traita simplement « d’utopies » ; M. Grandtexier, de « conceptions absurdes » ; et M. Carol (de la Berterie), nonobstant ses origines jacobines, ne craignit pas de prononcer les mots de « criminelle folie révolutionnaire ». M. du Guat, plus juste et plus accommodant, proclamait le plan du docteur très louable en soi, mais irréalisable, au moins jusqu’à nouvel ordre. Pour le comte de Fersac, il déclara nettement au gendre de M. de Légé que le docteur Charbonnière était un galant homme, beaucoup trop bon seulement de se mettre martel en tête pour des gens qui ne le méritaient pas. Ainsi des autres dans tout le pays. Bourgeois et nobles, chacun appréciait les projets de Daniel selon son caractère, ses préventions, et surtout ses intérêts.

Dans les presbytères, les curés, stylés par l’abbé de Bretout, blâmaient avec des formes moins franches ces desseins étranges qui leur paraissaient procéder