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— Mais les mauvaises langues, Sylvia, ne les crains-tu pas ?

— Non, du tout ! Qu’elles disent ce qu’elles voudront. Je me suis faite tienne parce que je t’aimais, sans aucun motif blâmable ou d’intérêt : ainsi est que je me trouve innocente de tout mal. Au temps ancien d’Adam et d’Ève, dont parle volontiers notre capelan, et de leurs enfants même, sans doute, on faisait comme nous avons fait, on se mariait devant le soleil ou sous les étoiles sans maire ni curé…

— Ah ! ma petite, tu n’es pas à court de bonnes raisons ! fit Daniel en souriant.

Elle continua :

— Pourvu que je sois près de toi, je ne me soucie de rien, je ne redoute rien, ni de personne… Tiens ! dit-elle en montrant une de ces lianes indigènes dont on fait des attelles pour les charrettes à bœufs, vois cette « guidalbre », comme elle a échelé ce grand chêne. Sans lui, dans l’ombre, repliée à terre ainsi qu’un serpent, elle pourrirait sur l’herbe et la mousse humide. Attachée à lui, elle a grimpé fièrement jusqu’aux plus hautes branches et jouit du soleil et de la lumière… Moi, je suis de même : attachée à toi, je suis forte et heureuse…

Daniel écoutait, charmé, ces paroles naïves, tout imprégnées de poésie rustique.

— Tu es un amour de fille, Sylvia ! répliqua-t-il en la pressant contre lui.

En ce moment, ils atteignaient une clairière formée par un défrichement abandonné. Au milieu, la maison était en ruines, et, tout autour, la forêt reprenait possession de son domaine. Quelques pins, de jeunes chênes, de petits châtaigniers, semés par les oiseaux, poussaient parmi les bruyères et les ajoncs.