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— Bonsoir, Sylvia… Que veux-tu ?

— Rien, sinon être un peu auprès de toi.

Il y eut un moment de silence, puis Daniel prononça nettement :

— Il faut t’en retourner, Sylvia.

— Ô maître ! laisse-moi un peu là ! Je suis si heureuse près de toi !… Tout près comme à présent…

— Il te faut t’en aller, te dis-je : ta mère se fâcherait.

— Elle n’y est pas… D’ailleurs je suis fille faite et maîtresse de moi !

— Va-t’en, Sylvia !

— Pourquoi me méprises-tu, maître ? Je suis noire parce que le soleil des fenaisons m’a « crâmée », mais je suis belle tout de même. Ce tantôt, dans le haut du goulet, derrière les vergnes, je me suis baignée, et, me mirant dans l’eau tranquille, j’ai vu que mon corps était beau, et j’en ai eu le plaisir parce que je t’appartiens et que, lorsque tu voudras prendre ton bien, tu n’auras pas dépit de moi… Si je parle comme ça, ce n’est point, tu le sais, que je sois une folle bringue… Il n’y a pour la fille de ma mère qu’un homme au monde et, si tu n’y étais plus, je porterais jusqu’à la mort la honte de ma virginité !… Il faut, à la fin, que je te le dise ! tout le jour je pense à toi, et, la nuit, en dormant, j’étends les bras et je te cherche…

Les mains sur son visage, elle parlait d’une voix basse, haletante de passion, ce cantique ingénu et fervent faisait frissonner Daniel.

— Vois là-haut, reprit-elle en redressant la tête après un court silence, vois ces milliers de lunous qui nous éclairent suspendus dans le ciel comme des calels allumés. Autour de nous, c’est la paix et la