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berger. Encore engourdi par un reste de torpeur, il rêvait en suivant des yeux l’ascension de l’astre superbe. Les deux hommes s’en étaient allés, leur journée finie, en respectant son sommeil. Les alentours étaient déserts. Derrière la meule, la Jasse broyait fortement le bon foin nouveau, et parfois, les naseaux chatouillés par le pollen des fleurs, s’ébrouait bruyamment. De-ci, de-là, les grillons sortis de leur tanière se recherchaient en susurrant parmi les racines des plantes coupées. Du lieu où Daniel était couché, la prairie descendait en pente faible jusqu’au ruisseau, dont les eaux, en amont, tombaient avec un murmure continu de l’écluse du moulin. Dans cet amoureux soir d’été, le docteur, allongé sur le dos, laissait son regard errer des hauts coteaux assombris, qui fermaient l’horizon, aux prés du petit vallon qui bordaient les deux rives. Il songeait à Sylvia, désirait sa présence et la redoutait en même temps, lorsque tout à coup il l’aperçut traversant à gué le ruisseau, son jupon troussé jusqu’au-dessus du genou, pareille, dans la faible clarté de cette heure, à une fée des eaux. Une vive émotion le saisit ; il voulut s’en aller, puis hésita : il lui semblait n’avoir pas la force de se mettre debout, de secouer le charme voluptueux qui le tenait. Cependant Sylvia montait vers lui, et, à mesure qu’elle approchait, sa personne se dessinait plus joliment dans l’imperceptible vapeur du soir. Maintenant elle était là devant lui, les cheveux à moitié défaits, en accoutrement de faneuse : chemise à coulisse découvrant la naissance des épaules, jambes nues sous le cotillon court.

— Bonsoir, maître ! fit-elle d’une voix douce, en s’asseyant à côté du jeune homme.