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pour Sylvia être l’honnète femme d’un rustre que la chambrière-maîtresse d’un monsieur, comme la Madalit et autres du pays ? »

Parfois cependant il s’apitoyait en réfléchissant à cette dure destinée. Il lui semblait que ce serait un crime de soumettre une telle créature aux rudes travaux de la glèbe. Ces petites mains, quoique hâlées par le soleil, n’étaient pas destinées à manier le lourd hoyau ; cette taille élégante, qui se devinait sous de grossiers vêtements, n’était pas faite pour se courber sur la terre dure. Et surtout, en songeant que cette belle fille, d’une si délicate sensibilité native, serait peut-être pliée sous la volonté d’un paysan brutal, saoulard hebdomadaire, qui lui infligerait, dans le vin, des grossesses continuelles et d’ailleurs la meurtrirait de son poing noueux, — oh ! alors Daniel se sentait envahir par une sourde colère.

Malgré tout cela, lorsqu’il interrogeait sa conscience, il ne se reconnaissait pas le droit d’intervenir activement dans cette vie, et d’employer à la diriger l’ascendant du maître et l’influence du médecin qui l’avait sauvée. Ainsi tiraillé entre ses sentiments et les réclamations du devoir, le docteur s’efforçait de rester neutre et, à cette fin, évitait le plus possible la rencontre de Sylvia. Mais cela n’était point facile : autant il se dérobait, autant elle le recherchait. Fréquemment il la trouvait sur son chemin, souriante et muette, et, par sa mine expressive, déclarant son amour. Aussi bien saisissait-elle toutes les occasions de venir au Désert, et, quand les occasions manquaient, elle forgeait des prétextes.

Comme elle savait les goûts du « monsieur », le plus souvent Sylvia lui apportait un bouquet de fleurs des bois. Il arrivait bien, de temps à autre, que