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Il se disait que ce serait malhonnête d’abuser des sentiments que lui portait Sylvia. Toute mignonne, à côté de la belle fille qui n’ignorait plus la nature de son affection, il lui semblait voir encore la drôlette innocente qui, n’étant pas ingrate, avait suivi purement l’impulsion de son petit cœur, et cela lui donnait des scrupules.

Puis il y avait autre chose : la Cadette avait tout l’air de pousser Sylvia dans ses bras. Était-ce bêtise ou calcul, le docteur ne le démêlait pas très bien ; mais, chaque fois qu’elle en avait l’occasion, la bonne femme, de sa voix traînante, lui chantait les mérites de sa fille et ne faillait jamais de dire combien celle-ci était affectionnée au maître : « Elle est bien vôtre, allez !… Depuis que vous l’avez sauvée, elle se jetterait au feu pour vous !… »

— Si vous la voyiez maintenant ! lui disait-elle, un jour qu’elle était venue chercher un sac de seigle au Désert. Quel morceau de roi, au prix de ce que vous l’avez vue !… Vous devriez la prendre pour chambrière, ajouta-t-elle après un silence.

— Vous êtes une coquine ! interrompit Daniel, indigné.

— Et pourquoi, notre monsieur ? Elle serait plus heureuse avec vous qui êtes un tant brave homme et qui lui feriez bien, que non pas à se crever de travail avec le fils des métayers du Mas-Poitevin qui la voudrait prendre à femme !

Daniel s’en alla sans lui répondre. Cette mère qui, avec une espèce de candeur cynique, lui offrait sa fille, cette paysanne bassement raisonnante, le révoltait. Il lui répugnait de connaître en confidence une telle aberration de sens moral.

« Après tout, se disait-il, ne vaut-il pas mieux