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qu’elle lui appartenait. Dès le temps où, petite fillette, elle venait au Désert à califourchon sur l’ânesse du moulin, elle admirait naïvement Daniel. Sa haute taille, ses larges épaules, son épaisse chevelure, son regard scrutateur et doux, l’expression énergique de ses traits, tempérée par un sourire d’une admirable bonté, tout cela lui imposait et lui semblait d’un être supérieur aux autres hommes. Maintenant qu’elle était fille nubile et comprenait les choses de l’amour, ses sentiments avaient changé de caractère : elle aimait Daniel avec toute la ferveur de son âme reconnaissante, avec toute l’ardeur de ses jeunes sens. Quelquefois, la nuit, en songeant que pendant sa fièvre typhoïde il l’avait ainsi tenue entre ses bras, pour la mettre dans le bain sauveur, elle frissonnait, fermait les yeux, et rêvait de coller ses lèvres brûlantes sur les mains qui l’avaient « tirée de la fosse », comme elle disait.

Daniel, lui, avait été d’abord un peu embarrassé d’effusions qui lui semblaient des témoignages de gratitude excessifs à la fois et puérils. Mais depuis que, sa convalescence achevée, Sylvia, comme épanouie par cette crise même, apparaissait désirable ainsi qu’un superbe fruit mûr, le docteur ressentait une satisfaction attendrie d’avoir par sa vigilance et par son audacieux traitement sauvé cette chair en qui la vie débordait. Il s’intéressait à Sylvia comme à son œuvre, et secrètement s’émouvait en se rappelant certaines protestations ingénues d’être à lui toujours. Et, maintenant que l’enfant naïvement vouée à lui s’était muée en une belle fille amoureuse, il se troublait en lisant au fond de ses yeux noirs la même protestation que ses lèvres n’osaient répéter.

Cependant il cherchait à réagir contre ce trouble.