Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/197

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Jannic, rempli d’espoir, s’en fut, disant :

— Je vais l’y mettre, coup sec : j’ai vu la drôle passer avec sa mère, toutes deux allant à la messe ; il n’y a personne, à cette heure, au moulin…

Dès son entrée au Désert, la Sylvia, toute drôlette alors, occupait le jeune garçon. Mais depuis qu’elle était devenue une belle fille, grande, bien faite, aux lèvres rouges, aux splendides yeux noirs, son amour avait crû avec elle et le travaillait si fort qu’il en était quasiment imbécile. Tout le long du jour, gardant ses brebis, il ne pensait qu’à Sylvia, et, la nuit, la voyait en rêve. Lorsque Mériol ou la Sicarie lui commandait quelque chose, des fois il restait là, planté, badaud, comme étourdi, n’ayant rien ouï, de manière qu’il fallait lui répéter l’ordre. Et Sicarie de s’écrier :

— Par ma foi ! on dirait que ce drôle est amoureux !… Mais il n’a encore qu’un duvet d’oison à ses joues !

Oui, cela était pourtant. Malgré sa jeunesse, le pauvre Jannic était amoureux à en perdre ses idées. Malheureusement, Sylvia ne l’aimait point. Même, comme le garçon l’avait dit à Gondet en son langage sincère, elle avait pour lui une sorte d’aversion.

— Passe ton chemin, berger ! lui disait-elle avec un sévère coup d’œil, lorsque d’aventure il voulait lui parler.

C’est qu’elle aussi avait un amour au cœur, amour exclusif et profond. Depuis sa maladie, elle se considérait comme la chose de celui qui l’avait sauvée : elle ne souffrait pas qu’un autre homme eût pour elle des attentions. Les regards amoureux de Jannic lui semblaient voler celui qu’elle se complaisait toujours à nommer son maître, comme pour constater