Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec un bruissement monotone et continu comme celui des eaux débordées. Nul autre son, hormis parfois, au loin, devant les deux hommes, des abois de chiens épeurés, ou le hurlement d’un loup chassé de son liteau par la faim. Tous deux étaient muets, car, outre qu’ils marchaient à la queue leu leu séparés par la jument, Mériol n’était pas « languard » de nature, ni Daniel affligé en goût de causer. Dans les mauvais pas, le vieux s’arrêtait, soutenait la bête par la bride et jetait à son compagnon un bref avertissement :

— Il y a un gauliadis !

Puis, la fondrière passée, ils reprenaient leur marche silencieuse.

En traversant les landes plainières de Pillamy, Mériol se planta sur la cafourche de trois chemins, devant la vieille croix de Malemort, et, tirant de sa poche une pierre à l’exprès ramassée sur la vieille route, il la déposa de la main gauche sur une « mont-joie » d’autres pierres. Quel rite accomplissait-il ? quelle était la signification de son acte ? Daniel ne put le savoir, et peut-être Mériol lui-même l’ignorait.

— Ça doit se faire.

C’est tout ce que le jeune homme en put obtenir.

Au sortir des landes, après une descente assez raide, le chemin empruntait la chaussée d’un large étang environné de bois. Dans ce fonceau étroit, on n’y voyait brin. Fouettée par le vent d’Ouest qui venait de la côte océane, la pluie crépitait sur les eaux noires qui clapotaient aux pieds des voyageurs, contre le mur de la chaussée. Les embruns de l’étang soulevé les enveloppaient d’une épaisse brume et le fracas du déversoir les étourdissait. Point de parapet ni de garde-fou : d’une part, les eaux profondes ; de l’autre, le vide obscur d’un ravin. Mériol saisit la bride et cria :