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La Jasse, bien avoinée, s’en allait joyeusement vers son écurie en pressant le pas. Une lumière incertaine, tombant des étoiles, éclairait faiblement les chemins et les sentiers à travers les landes et les bois. Dans la demi-obscurité, le jeune homme, docile aux mouvements de sa monture, rêvait à ses entreprises, et, l’estomac réchauffé par un vin généreux, voyait tout en beau. Tandis qu’il cheminait paisiblement, des bruits nocturnes montaient de l’ombre. Glapissements de renards en chasse, cris aigus de hérissons sortis de leur tanière, ululements de chats-huants dans les futaies, hurlements de loups sur les carrefours des chemins, miaulements rauques de chats sauvages, grognements sourds et froissements de branches dans les halliers, frouements imprécis, gémissements étouffés… Tous ces bruits, tous ces langages de bêtes, se mêlaient parfois en rumeurs confuses qui semblaient la voix de la forêt au loin réveillée.

Daniel, tout entier à ses méditations, ne prenait point garde à cette symphonie sauvage dont les exécutants lui étaient connus, lorsque soudain la Jasse s’arrêta court, chauvit des oreilles et souffla bruyamment. Lors, relevant la tête, le docteur aperçut à quelques pas devant lui, à la croisée de deux chemins, un homme sorti du taillis qui, l’ajustant avec un fusil, lui cria rudement :

— La bourse ou la vie !

On n’y voyait guère, et, d’ailleurs, l’homme était masqué d’une peau de bête ; mais le docteur le reconnut à la voix.

— C’est comme cela que tu me remercies de t’avoir soigné tout l’hiver passé, dis, Gavailles ?… Allons, mon ami, haut le bois !

— Ah ! c’est vous, monsieur Daniel !… excusez…