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qui serait arrivé s’il avait eu la faiblesse de céder aux instances de sa téméraire cousine. Ne serait-il pas tombé à genoux, lui aussi, devant elle ? Aurait-il été assez maître de lui pour ne pas faire remonter le long des bras jusqu’aux épaules les baisers donnés aux mains qu’elle abandonnait à ses lèvres ? Malgré la puissance de volonté qu’il se connaissait, Daniel se félicitait d’avoir fui la dangereuse expérience imaginée par Minna, et se disait que la prudence est la moitié de la vertu comme la force en est l’autre moitié.

Puis, venant à songer que, même s’il eût gardé la réserve commandée par l’honneur et la parenté, il pouvait sortir de la chambre de sa cousine engagé moralement par une parole qui eût échappé à la passion, ou par une promesse tacitement faite dans un baiser, il frémissait. La pensée qu’il aurait pu se lier pour la vie à une femme incapable de le comprendre, étourdie, frivole et dévote, l’épouvantait. Il en éprouvait un véritable malaise, et s’agitait sur sa selle comme pour chasser un cauchemar.

Et, néanmoins, malgré tout, un retour offensif du cœur et des sens lui remettait parfois devant les yeux la séduisante image de Minna…

Lorsqu’il arriva chez lui, Daniel trouva la Grande achevant de couper, pour les semer, des pommes de terre envoyées par M. Cherrier. La bonne géante, contre son ordinaire, semblait de fort méchante humeur. La raison de cette fâcherie, qu’elle fit connaître aussitôt, était que son « bougre d’homme », entêté depuis des années à ne point semer de « patates », s’en était allé faire ferrer une paire de vaches qui n’en avaient peut-être pas grand besoin.

— Si ce n’est que cela, lui dit le docteur, ne t’in-