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dans notre pays de Périgord beaucoup plus de réputation que celle même de Paris.

Il venait d’endosser la robe doctorale de maître François Rabelais lorsque son père mourut presque subitement. C’était à l’automne de 1817. Le jeune homme partit pour Bordeaux, et, de là, prit une patache d’occasion qui allait à Angoulême par Coutras et Ribérac.

Le temps était pluvieux, les routes mauvaises, les chevaux fatigués, de manière qu’à l’arrivée à Laroche-Chalais il était déjà nuit close. Ayant relayé, la voiture roula bruyamment sur les pavés de la petite ville, puis les chevaux ralentirent l’allure, et le bruit des roues s’assourdit sur la route détrempée. Depuis le relais Daniel était seul dans le coupé de la guimbarde et, par l’entre-bâillement du rideau de cuir, il regardait fixement tomber l’eau qui ruisselait sur la croupe des chevaux. L’un d’eux, grand vieux cheval de cuirassiers, peut-être échappé de la boucherie de Mont-Saint-Jean, boitait bas et recevait stoïquement les coups de fouet du postillon. À mesure que l’équipage pénétrait dans l’ombre plus obscure, les hachures grises de la pluie, visibles dans le rayonnement de la lanterne, se fondaient au delà de la chaussée dans la brume qui s’épaississait. Le grand chemin désert montait, descendait, à travers les bois et les landes de la Double ensevelis dans la nuit humide. Nul bruit que celui des grelots sonnant assourdis sur les colliers et le pataugement des chevaux dans la boue. Point de maisons au bord de la route ; seuls, de-ci de-là, des arbres étêtés se dressaient comme pour la jalonner. Daniel percevait toutes ces choses, vaguement, sans y attacher sa pensée attristée par la mort de son père, mélancoliée par les ténèbres, la pluie et la morne