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— Peut-être bien !… Mais quoi ! les savants, les intelligents ont aussi leurs faiblesses et leurs superstitions… Combien de gens du monde croient à la vertu d’un fétiche personnel ou du trèfle à quatre feuilles, redoutent le nombre treize et le vendredi ! Le comte de Saint-Germain, puis Gagliostro ont fait courir tout Paris, et Napoléon consultait mademoiselle Lenormand… Lorsqu’on voit les croyances celtiques aux fées, au drac, — las fadas ou fachiliéras, lou drac, — survivre parmi nous sous trois couches de religion superposées, il en faut bien conclure que l’homme est un animal superstitieux de nature. Quand une chose mystérieuse s’est ainsi logée dans les cerveaux d’une race, elle n’en sort plus. Par exemple, de nos jours, le peuple de ce pays s’exprime sur la mort comme ses ancêtres des forêts aquitaniques. Les Gaulois mettaient dans le tombeau des leurs une figurine sur laquelle était gravée une inscription signifiant que le mort avait payé le tribut. Eh bien ! après des milliers d’années, lorsque le paysan ouït la cloche de sa paroisse qui sonne le glas funèbre, il dit philosophiquement du trépassé : « A pagat e deven ! »

Tout en devisant, Daniel et M. Cherrier revinrent vers les foirails, qui commençaient à se dégarnir. Des couples d’amoureux gagnaient sournoisement les taillis voisins, et des paysans prenaient le chemin de leur village, emmenant une paire de vaches, ou portant sur l’épaule le joug des bêtes vendues. Quelques marchands, ayant fait leur foire, touchaient devant eux des troupeaux de porcs ou de moutons, cependant que des maquignons du dernier ordre conduisaient par le licol du chef de file des chevaux attachés à la queue leu leu.