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avisée, son rejeton eût péri avec elle dans le massacre des huguenots qui suivit la capitulation de la ville, selon les us du bon vieux temps. Ce cas échu, Jean-Jacques-Daniel Charbonnière, lequel vient en droite ligne de ce garçonnet, serait resté dans le néant ; de sorte que son histoire ici narrée ne l’eût jamais été, — ce qui eût été dommage, mais petit.

Il serait oiseux de dénombrer par le menu tous les anciens Charbonnière nommés sur les feuillets de garde d’une vieille bible de famille in-folio. Il suffit de dire que c’était de braves gens du commun, paysans pied-terreux, charbonniers, bûcherons et autres pauvres hères, impécunieux jusqu’au grand-père de Daniel qui, ayant gagné quelques sols dans le négoce des bois, acheta en Double une terre où il trouva de vieilles futaies avec quantité de belles pièces pour la marine, qui lui payèrent et bien au delà l’entier prix de la propriété.

Quoique devenu aisé, le bonhomme persévéra dans son trafic comme devant, ne changea rien à ses habitudes, et continua d’aller à Bordeaux vendre ses bois, vêtu comme un paysan doubleau. La seule commodité qu’il s’accorda fut une jument, au lieu que ci-devant il allait de pied ; encore disait-il que c’était pour faire plus vite ses affaires. Pourtant, quoique personne de sens et qui ne s’en faisait pas accroire, il eut, comme d’autres, l’ambition de faire de son fils Nathan un monsieur, et, par cette visée, l’envoya étudier la médecine à Genève, parce qu’à cette époque les « prétendus réformés », comme on disait, n’étaient pas admis dans les Universités du beau pays de France.

Pour Daniel, fils dudit Nathan, il fit ses études à Montpellier, dont la faculté de médecine avait lors