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élevés, amoureux et désintéressé, qui eût signé sans le lire le compte de tutelle, faisait justement son affaire.

— Eh bien ! puisque nous parlons de cela, répliqua Daniel je vous dirai que je ne vivrais pas tranquille avec cette fortune mal acquise. Il me répugnerait tellement d’hériter quelque jour, par ma femme, de l’argent de tant de malheureux dépouillés par le cousin, que cette seule raison, à défaut de l’autre, suffirait pour me faire retirer !

— Alors, tu n’iras plus à Légé ?

— Il m’a bien fallu y aller, ces jours-ci, pour un domestique malade ; mais j’ai fait ma visite de grand matin afin de ne pas rencontrer ma cousine. Maintenant ce domestique est guéri, je n’ai plus d’occasion d’y aller.

— Mon cher Daniel, comme notaire, je serais tenté de te blâmer, mais, comme ami, je t’approuve entièrement.

En causant de la sorte les deux hommes dépassaient fréquemment des piétons allant à la foire. Les uns touchaient devant eux des brebis ou quelque goret attaché par une patte de derrière ; d’autres tiraient par la corde une bourrique pelée ou une vache écornée. Quand le notaire reconnaissait un client, il le saluait d’un quolibet amical et plaisant qui excitait le rire. Ainsi s’avançant au bon pas de leurs montures, Daniel et M. Cherrier arrivèrent à la Latière vers l’heure de midi.

Sous de gros chênes « jarouilles » plusieurs fois centenaires, les cuisines en plein air fumaient, avec des odeurs de mangeaille. Dans de profondes marmites posées sur de fortes pierres, la soupe grasse faite de volaille et de vache, — quelquefois de vache