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perdues entre les taillis neigeux, grisaillants, laissaient monter dans l’air froid un filet de fumée bleuâtre qui se confondait bientôt avec le ciel obscur. Dans les défrichements, autour des habitations, des vignes perçaient la neige de l’extrémité de leurs ceps tordus, et les seigles recouverts comme d’une ouate épaisse attendaient le printemps à l’abri de la gelée.

Daniel considérait ce tableau mélancolique, et, par la pensée, se représentait les choses et les êtres invisibles. Les pauvres gens mal vêtus, serrés autour de l’âtre rustique, où brûlait sur de grosses pierres un feu de bois vert qui enfumait la cahute obscure… Puis, dans les étables tièdes des métairies, les bœufs pensifs ruminant sur la bruyère, et parfois remuant leur chaîne avec de sourds meuglements. Enfin, parmi les cimes des grands arbres, les oiseaux enjuchés, immobiles, les plumes hérissées, et, au fond des bois, dans les gaulis et les halliers impénétrables, les bêtes sauvages, rousses et noires, tapies sur le ventre, attendant la nuit pour aller au gagnage et à la proie.

Nul bruit sur cette nature ensevelie ; pas un chant de coq, pas un mugissement de vache appelant son veau, point d’abois de chiens ou de cris de bêtes, rien. Un silence sinistre planait sur la campagne solitaire, interrompu seulement, à de longs intervalles, par le coup de fusil lointain de quelque bourgeois désœuvré, sot massacreur de petits oiseaux qu’attirait la graine de foin semée à l’exprès dans sa cour déblayée.

À une petite lieue, au sommet d’une butte, la tour pointue de Légé se haussait sur l’horizon, dominant le pays. Tournant ses regards de ce côté, Daniel revit la chambre de sa cousine, et elle-même dans son lit,