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VENTÔSE

Les froids secs ont cessé, le dégel est venu ; c’est le temps des bourrasques de l’équinoxe de printemps. Comme un troupeau de moutons qui se pressent et se bousculent, des nuages blanchâtres accourus de l’Atlantique, se précipitent sur nous, poussés par l’impétueux Japyx (vieux style). Il fait gros temps ; la nuit, le vent souffle au dehors et passe sur les noyers avec un bruit de torrent grossi par les orages. Il filtre par la tuilée, gémit dans les galetas et hurle sous la porte du grenier, qui bat, mal fermée. Les rafales font crépiter la pluie sur les contrevents clos, et s’engouffrent à grand bruit dans la haute cheminée. Par moments, dans l’obscurité, le noir de poix, l’ouragan s’exaspère. Les gémissements deviennent des rugissements ; les tuiles et les ardoises mal attachées s’envolent comme des plumes ; des gravats tombent dans l’âtre ; des coups de vent plus furieux secouent la charpente ; et au dehors, on entend le craquement sinistre d’un arbre déraciné par la tempête. Alors, dans la vieille maison qui tremble, derrière les courtines du vaste lit que l’air agite, on songe aux marins perdus sur l’immense Océan…

Le matin, le soleil invisible éclaire la terre à travers un épais écran de nuages gris, roussâtres comme une fumée d’incendie, et répand sur la campagne déserte un jour blafard qui donne aux choses une morne physionomie.