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Aussi parfois le désespoir le saisit. « Mettons tout en la main du Diable », — disaient les pauvres ahaniers révoltés du quinzième siècle, — « faisons du pis que nous pourrons ; aussi bien ne nous peut-on que tuer ou que pendre ».

Le pauvre Jacques-sans-terre d’à présent, lui, ne se donne plus au Diable auquel il ne croit que mollement, par tradition et sur la foi de son curé. Il faut bien dire aussi que s’il est toujours misérable par comparaison, il ne meurt plus de faim aiguë comme autrefois, mais seulement quelquefois de faim lente, épuisé avant le temps par une alimentation insuffisante à réparer les fatigues du travail.

Mais s’il ne se donne plus au diable, le vieux compère des prêtres, il commence à se lasser de mourir même de faim lente seulement, et demande une tourte plus grosse. En Périgord, pays de colonage, le métayer besogneux s’efforce d’échapper à la glèbe marâtre où le sort l’attacha. Les garçons devenus grands désertent la métairie, s’en vont au loin, se font ouvriers, manœuvres, cheminaux, et les filles se « logent » comme elles disent, servantes à la campagne ou chambrières en ville.

Le père, resté seul avec sa femme, se crève à travailler le domaine tant bien que mal, mal plutôt que bien, jusqu’au jour où il est renvoyé par le maître comme « pas assez fort ».

Il erre alors de métairie en métairie, des médiocres aux plus mauvaises, à celles qui ne nourrissent pas leur homme ; n’y séjournant pas plus d’un an, toujours renvoyé, laissant des dettes, jusqu’au jour où épuisé par l’âge, la fatigue, la maladie, la