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et six cents ruisseaux, sans parler des ruisselets innomés et des étangs, les gens n’ont pas toujours l’eau à leur porte, propre à la baignade. Sur les plateaux, en haut des coteaux, dans les temps de sécheresse, on a juste l’eau pour boire et faire la soupe ; et il faut aller loin souvent pour abreuver les bestiaux dans un « lac » à moitié tari et bourbeux. La plupart des ruisseaux n’ont, en été, qu’un faible débit ; il faut être riverain d’un gros cours d’eau pour avoir le plaisir salutaire du bain.

C’est le temps où le soleil brûlant fait éclater avec bruit les cosses de genêt qui projettent au loin leurs graines noires. Le long de la rivière, ses rayons, passant à travers le feuillage des vergnes, des aubiers, des peupliers, tremblotent sur les eaux moirées. Les demoiselles, vertes, bleues, au vol saccadé, se posent sur les renoncules d’eau, les aches, et les nénuphars que nous appelons « crêpes » parce que leurs feuilles s’étalent en rond à la surface de l’eau. Sur les rives et la levée des vieux moulins, sur « l’écluse », comme nous disons, fleurissent des saponaires, des iris aux feuilles gladiées, et des salicaires aux belles fleurs pourprées.

Par moments, un cabot ou une perche monte à la surface, happe une chenille tombée d’un vergne dont elle a dentelé le feuillage, et redescend au fond de l’eau. Le cercle formé par le remous va s’élargissant et finit par disparaître : ainsi de nous et de notre action dans le monde. Les hirondelles volent rapides en rasant la nappe verte ; un rat d’eau traverse la rivière en laissant après lui un long sillage, et un martin-pêcheur passe d’une rive à l’autre comme une flèche empennée de bleu.