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du couteau et des doigts ; mais ça n’arrivait qu’une fois l’an, au carnaval.

Duclaud ayant fini sa soupe, prit la pinte et nous versa à tous du vin dans notre assiette. Lui-même remplit la sienne jusqu’aux bords de telle manière qu’un petit canard s’y serait noyé : on voyait qu’il était dans la maison comme chez lui et ne se gênait pas. Ce vin était un petit vinochet du pays, qui ne valait pas celui de la côte de Jaures, à Saint-Léon-sur-Vézère ; mais nous autres qui ne buvions que de la mauvaise piquette, gâtée souvent, pendant trois ou quatre mois, et, le reste de l’année, de l’eau, nous le trouvions bien bon. Après avoir bu, le porte-balle nous offrit de la soupe encore, et, personne n’en voulant plus, il s’en servit une autre pleine assiette, après quoi il fit un second copieux « chabrol », comme nous appelons le coup du médecin, bu dans l’assiette avec un reste de bouillon.

Pendant ce temps, la Minette avait tiré les mongettes ou haricots dans un saladier et les posa sur la table. Ma mère se leva alors, disant qu’elle n’avait plus faim ; mais la brave vieille qui se doutait qu’elle disait ça parce qu’elle craignait la dépense, la fit rasseoir :

— Il vous faut manger tout de même pour avoir des forces, dit-elle ; mangez, mangez, pauvre femme, autrement vous ne pourriez pas finir d’arriver à Périgueux.

Tandis que nous mangions, la Minette conta