Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rendrais malade, et alors que deviendrait ton drole ?…

— Vous avez bien raison, répondait ma mère en s’efforçant de manger à contre-cœur.

Ce que c’est que les enfants ! j’aimais bien mon père, pour sûr, mais à l’âge que j’avais on se laisse distraire aisément. Tout le long du jour, j’étais avec Lina, par les chemins bordés de haies épaisses de ronces, de sureaux et de buissons noirs, contre lesquelles la chèvre se dressait parfois pour brouter. Tandis que les oies paissaient l’herbe courte sur les bords du chemin, je les regardais faire curieusement. Lorsqu’elles étaient saoules, elles se mettaient sur le ventre, et, de temps en temps, piaulaient entre elles, comme si elles se fussent dit leurs idées. De vrai, lorsqu’on voit ces bêtes, et tant d’autres d’ailleurs, avoir un cri particulier, un son de voix différent, une manière tout autre de jaser, dans des occasions diverses, on ne peut pas s’empêcher de croire qu’elles se comprennent. Ainsi, lorsque le gros jars de Lina, tranquille, les pattes repliées sous lui, la tête haute, l’œil brillant, faisait tout doucement à ses oies reposant autour de lui : « Piau, piau, piau, » il me semblait qu’il leur disait : il fait bon ici, le jabot plein. Et, lorsqu’une oie répondait sur le même ton : « Piau, piau, piau », je me pensais qu’elle devait dire : « Oui, il fait bon ici ». Puis, quand venait dans le chemin un chien étranger, ou quelqu’un qui n’était pas du