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lorsque l’autre arrivait. Je dirai franchement que sur la fin j’en avais un peu perdu le compte : car, un soir de carnaval, en soupant, je m’amusais à les nombrer, et je n’en trouvais que onze.

— Et la Jeannette qui est là-bas, mariée au Moustier, dit ma femme, est-ce qu’elle est bâtarde ?

— C’est ma foi vrai ! je n’y pensais plus ; mais ça ne fait toujours que douze ?

Alors elle alla prendre dans le lit le petit dernier et me le présenta :

— Et celui-là, donc, tu ne le connais pas ?

— Ah ! le pauvre ! je l’oubliais.

Et, prenant le petit enfançon qui me riait, je l’embrassai et je le fis un peu danser en l’air ; après quoi, je lui donnai à téter une petite goutte de vin dans mon verre.

Et ce pendant, les autres droles qui étaient là autour de la table, s’égayaient de voir que le père ne retrouvait plus sa treizaine d’enfants.

En ce temps-là, il y en avait de mariés, garçons et filles, d’autres partis à travailler hors de la maison, de manière qu’il n’était pas bien étonnant d’en oublier quelqu’un : oui, seulement ma femme disait que le carnaval en était la cause.

C’est bien sûr que si l’homme n’a pas le mal de faire et d’élever les enfants, il lui faut affaner pour les nourrir et entretenir, ce qui n’est pas peu de chose, surtout lorsqu’il y en a tant. Pourtant, Dieu merci, je ne leur ai pas laissé man-