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placé Bonal : les gens le détestaient tellement qu’il avait été obligé de partir, comme je l’ai dit. Son successeur, qu’on avait envoyé deux ans après, fit un beau prêche sur la tombe du chevalier, et le loua comme il le méritait. Lorsqu’il annonça que, par testament, le défunt avait donné tout son avoir aux pauvres de la paroisse, ce fut un long murmure de bénédictions de tous, et les bonnes femmes s’essuyèrent les yeux. Malheureusement, ce n’était pas le diable, ce qu’il donnait, le brave homme, car il ne lui restait guère vaillant et bien liquide qu’environ vingt-cinq ou vingt-six mille francs, à ce qu’il paraît, le bien étant fortement hypothéqué. Ce n’est point par dissipation ou désordre que le chevalier et sa sœur avaient mangé leur avoir, c’était par bonté. Lui, n’avait jamais su refuser cent écus en prêt, à un homme dans le besoin ; et, confiant comme un enfant, il avait souvent mal placé son argent, ou négligé de prendre les précautions nécessaires. De même pour les pauvres ; le frère et la sœur avaient toujours donné sans compter : aussi mangeaient-ils leur bien, petit à petit, et depuis des années vivaient plus sur le fonds que sur le revenu. Du reste, même pour ceux qui y regardent de près, il est forcé que les fortunes se fondent, si quelque source, industrie, mariage ou héritage, ne les renouvelle pas. Un petit noble campagnard comme le chevalier, qui au commencement de ce siècle était riche avec deux mille écus de revenu, se