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il fait une chaleur d’enfer, suer et geindre toute la nuit, courbé sur la maie ; se griller la figure pour enfourner, et aller se coucher quand les autres se lèvent, en voilà-t-il pas un beau métier ! Parlez-moi d’être charbonnier.


Pour moi, cet état me convenait bien, parce qu’on est seul dans les bois, et qu’on vit là tranquille, sans avoir affaire que rarement aux gens. Il y en a qui ont besoin de la société des autres, qui veulent se mêler à la foule, à qui il faut des voisinages, des nouvelles, des échanges de platusseries ou plats propos ; moi pas, et il me paraît que c’est un malheur que de ne pas savoir vivre seul. Les hommes rassemblés valent moins qu’isolés. Il en est du moral comme du physique : les grandes réunions humaines sont malsaines pour l’esprit et le cœur, comme pour le corps. Les citadins ont beau se jacter de tel avantage, de ceci, de cela et du reste, les pauvres gens n’en crachent pas plus loin que nous. Aussi, quand j’ois vanter l’habitation des villes, il me semble qu’on me dévide les tripes sur un dévidoir en bois d’érable, arbre que nous appelons azéraü.

Or donc, pour en revenir, rien n’était plus plaisant pour moi que ce travail en plein air, sous le soleil, et la surveillance des fourneaux à la clarté des étoiles. Ça n’est pas un travail qui empêche de penser ; au contraire, on en a tout le loisir, et les sujets ne manquent pas.