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peuple sur lequel pèse le dur esclavage de la glèbe, qui depuis des siècles et des siècles, peine et ahane, vit misérablement, loge dans des tanières, et néanmoins puise dans notre sol pierreux et sain la force de suffire à sa tâche, le travail et la génération : on voyait qu’elle était faite pour le devoir, non pour le plaisir.

Sa figure n’était pas régulière, mais plaisait pourtant par un air de grande bonté, et par l’expression de ses yeux bruns qui reflétaient les sentiments de son cœur vaillant.

Telle qu’elle était, je sentais que tous les jours je m’attachais à elle davantage et je m’en réjouissais. Il me semblait bon maintenant de n’être plus seul sur la terre, d’avoir une créature que j’affectionnais et à laquelle je pouvais me confier.

Un dimanche, en arrivant, je trouvai la pauvre drole en larmes : sa mère était à l’agonie. Une vieille femme, venue par pitié, se tenait près du lit où gisait la mourante et disait son chapelet. Jamais je n’ai vu rien de plus triste. La figure n’était plus que des os recouverts d’une peau jaune, luisante, parcheminée ; la bouche entr’ouverte montrait sur le devant deux dents longues et noirâtres, les seules ; les yeux vitreux et éteints regardaient devant eux sans rien voir ; de maigres mèches de cheveux blancs sortaient de dessous le mouchoir de tête en cotonnade ; le nez aminci, racorni, laissait voir deux trous noirs, et sous la peau qui recouvrait cette